Aviation : Ouvrir l’espace aérien africain

Le secteur de l’aviation en Afrique doit envisager des solutions axées sur les passagers pour reprendre son envol
- Plus de 300 millions de passagers passeront par les aéroports africains chaque année d’ici 2035
- 22 milliards de dollars américains sont requis pour moderniser les aéroports africains
Un marché en pleine croissance
L’Association internationale du transport aérien estime que le trafic aérien en Afrique devrait augmenter en moyenne de 4,6 % par an pendant les 18 prochaines années. Cela se traduit par plus de 303 millions de passagers par an d’ici 2037. C’est le triple du nombre annuel de passagers qui voyagent dans l’espace aérien africain aujourd’hui.
La demande du transport de marchandises par avion en Afrique augmente également. Alors que le continent ne représentait que 1,7 % de la part mondiale des tonnes-kilomètres en 2019, les transporteurs africains affichent régulièrement la croissance la plus rapide du fret aérien dans le monde. Les données les plus récentes montrent que la capacité a dépassé la croissance du fret au cours des 21 derniers mois.
« Avec l’augmentation de la population et des revenus en Afrique, le transport aérien, tant pour les passagers que pour la marchandise, continuera de croître », estime Jean-Marc Bourreau, expert en aviation mondiale chez CPCS.
« Les aéroports africains doivent tirer profit de cette demande tout en assurant le bien-être des passagers et la rentabilité opérationnelle », poursuit Jean-Marc Bourreau.
S’attaquer aux problèmes récurrents
Que peuvent donc faire les aéroports africains pour jouer dans la cour des grands?
Les autorités aéroportuaires africaines considèrent généralement que les préoccupations de sécurité continuent de maintenir les flottes au sol. Même si on a noté de vastes améliorations sur le plan de la sécurité aérienne au cours des dix dernières années, l’appréhension reste justifiée.
Bien que les opérations aériennes commerciales en Afrique n’aient engendré aucun décès entre 2016 et 2018, la plupart des aéroports africains demeurent en mode « rattrapage » dans la mise en œuvre des normes de sécurité.
Selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), moins de 50 % des pays africains ont mis en place un nombre satisfaisant de normes de sécurité et de procédures recommandées. Cela signifie que chacun de ces pays a ses propres façons d’exploiter les avions, d’entretenir les aérodromes et d’enquêter sur les accidents.
Cette absence de normes uniformes rend certains pays méfiants à l’égard des compagnies aériennes africaines. En fait, ces compagnies sont souvent interdites d’exploitation aux États-Unis et dans certains pays européens.
Il est clair que les normes de sécurité qui ne sont pas conformes aux normes internationales empêchent en grande partie l’industrie aéronautique africaine de réaliser son plein potentiel dans une économie mondiale.
Des améliorations axées sur les passagers
Compte tenu de la situation, il est logique que les pays africains s’efforcent d’investir autant que possible dans les infrastructures aéroportuaires. De préférence par l’entremise de financement privé. La firme African Infrastructure Investment Managers estime que les aéroports africains ont besoin de la colossale somme de 22 milliards de dollars américains pour moderniser leurs infrastructures et leurs opérations.
Jean-Marc Bourreau s’inquiète toutefois du fait que certaines autorités aéroportuaires, certains gouvernements et certaines parties prenantes ont négligé l’importance de l’expérience des passagers alors qu’ils s’efforcent de respecter les normes de sécurité de l’OACI.
À titre d’exemple, de nombreux aéroports africains craignent que leurs infrastructures côté piste, c’est-à-dire tout ce qui a trait à l’exploitation des avions, ne soient pas conformes aux normes de l’OACI.
Lorsque 40 % des aéroports africains ne disposent pas d’une chaussée suffisamment solide, que 35 % n’ont pas de clôtures d’enceinte et que 20 % sont confrontés à des limitations de capacité, il est clair qu’il reste du chemin à parcourir avant que les aéroports africains soient tous certifiés par l’OACI.
« Les voyageurs ont tendance à considérer les normes de sécurité comme acquises, et ils devraient absolument le faire », indique M. Bourreau. « Ils sont plus intéressés par ce qu’ils peuvent voir et sentir. »
En outre, l’OACI n’est pas très vocale au sujet de la modernisation des terminaux de passagers et de marchandises. Pourtant, ils constituent les éléments d’infrastructure les plus visibles par les passagers et les opérateurs de fret. Les aéroports peuvent donc très bien passer sous silence les améliorations apportées à ce qui est généralement le facteur déterminant de l’expérience des passagers.
Par exemple, il est dans l’intérêt de chaque aéroport de protéger les passagers contre les intempéries et d’assurer une température contrôlée dans leurs terminaux. Or, ces équipements de base sont précisément ceux qui ne sont pas pris en compte dans les normes de l’OACI.
« Les passagers se souviennent rarement d’un atterrissage en toute sécurité, mais ils se souviendront certainement d’avoir attendu pendant des heures dans un terminal sans climatisation », explique Jean-Marc Bourreau. « C’est néfaste pour la réputation des entreprises. »
La leçon à tirer est qu’il ne suffit pas d’assurer des vols sécuritaires. Les aéroports africains doivent aussi s’adapter à l’expérience des utilisateurs.
Au-delà des services aux passagers
Un deuxième aspect négligé de l’infrastructure aéroportuaire est le transit terrestre, également non couvert par l’OACI. La planification qui tient compte de la ville est un élément essentiel de la réussite des aéroports. Concrètement, l’emplacement intuitif des entrées et des sorties ainsi que l’emplacement des portes sont essentiels pour assurer des temps de transit acceptables entre l’aéroport et la ville qu’il dessert. Un aéroport qui néglige l’accès au sol aggravera presque assurément la congestion dans les zones environnantes.
« L’époque des aéroports au milieu de nulle part est révolue », affirme M. Bourreau. « Les aéroports doivent apprendre à devenir de bons voisins des entreprises et des zones résidentielles qui se trouvent à proximité. »
Avec la popularité croissante du transport aérien en Afrique, les obstacles logistiques à la fluidité du transit terrestre au sein et autour des aéroports seront amplifiés.
Enfin, Jean-Marc Bourreau suggère d’accorder une plus grande attention aux opportunités commerciales générées par les aéroports. Cela peut aller des changements à la qualité de vie, comme l’ajout de boutiques et de salons à l’intérieur de l’aéroport, aux programmes de développement comme la construction d’une aérotropole, soit une ville développée autour d’un aéroport. L’esprit d’entreprise peut être la clé pour rendre certains aéroports africains plus rentables et attrayants.
Essentiellement, les aéroports africains ont raison de se concentrer sur l’amélioration de leurs normes de sécurité. Mais ils ne doivent pas négliger l’expérience des passagers et les opportunités commerciales liées à leur développement.
« Si une meilleure expérience des passagers n’augmente pas le trafic aérien total, elle peut entraîner une augmentation des dépenses des passagers », ajoute M. Bourreau.
Solutions préventives
La bonne nouvelle, c’est que les aéroports africains sont généralement disposés à s’attaquer aux préoccupations liées aux passagers.
« Mais ils doivent mieux les anticiper », renchérit-il.
C’est pourquoi il propose une stratégie à deux volets visant à éliminer ces problèmes avant même qu’ils ne surviennent.
Planification adéquate
La première partie de cette stratégie consiste en une bonne planification.
À mesure que le trafic augmente, une planification adéquate permet aux aéroports africains :
- D’améliorer les temps de traitement
- D’accroître la satisfaction des passagers et des opérateurs de fret
- De devenir un « bon voisin » pour la communauté
Cela va au-delà du travail de planification habituel. La communication et la coopération avec les autorités nationales de l’aviation civile sont primordiales.
Ces autorités jouent un rôle essentiel dans la gestion de la sécurité à l’aéroport et dans ses environs. Ces autorités participent aussi activement à l’aménagement du territoire avec les communautés environnantes. Lorsque ces autorités ne font pas partie du processus de planification, des oublis dangereux surviennent.
Parmi les exemples décevants qui résultent d’un manque de planification adéquate, on peut citer :
- L’autorisation de survoler des écoles, des hôpitaux et des zones résidentielles
- L’octroi de permis pour la construction d’installations sous des trajectoires de vol à basse altitude
Une mauvaise planification peut également entraîner des temps de trajet ingérables pour se rendre à l’aéroport et en revenir, ainsi que des pertes de fret.
Système de gestion de la qualité
La deuxième partie consiste à étudier la faisabilité d’un système de gestion de la qualité des services aéroportuaires. Un tel système pourrait se concentrer sur la logistique, l’ambiance de l’aéroport, la connectivité et les processus de télécommunications afin d’améliorer l’expérience des passagers.
Il faut reconnaitre que des activités apparemment simples impliquent de multiples éléments mobiles et services aéroportuaires.
Un enregistrement sans heurts, par exemple, n’est pas seulement la responsabilité des comptoirs de service. Le personnel des salles d’attente travaille sans relâche pour que les bagages soient au bon endroit, au bon moment. Pendant ce temps, les développeurs optimisent et actualisent constamment le site web de l’aéroport pour fournir des informations accessibles et pertinentes.
En l’absence de ce système holistique de gestion de la qualité des services aéroportuaires, les aéroports ont rarement une vue d’ensemble de la satisfaction des passagers.
Les passagers peuvent apprécier la courtoisie des comptoirs de service, mais peuvent déplorer la faible convivialité du site web ou celles avec les autorités. Le résultat est que l’aéroport reçoit des commentaires favorables pour son processus d’enregistrement, mais une mauvaise note globale pour la satisfaction des passagers.
La façon dont les aéroports gèrent actuellement l’expérience des passagers (par exemple, les enquêtes de satisfaction) ne rend pas entièrement compte de cette complexité. Cependant, la nature subjective de l’expérience des passagers rend cet énigmatique système de gestion de la qualité difficile à mettre en œuvre.
« Il n’est pas facile de créer des normes à partir de la perception », reconnaît M. Bourreau. « Le même système de gestion de la qualité pour l’aéroport Changi de Singapour ne peut pas être utilisé pour une petite piste d’atterrissage sur une île au milieu du Pacifique. »
Malgré les difficultés, la mise en place d’un tel système pourrait améliorer considérablement la façon dont les aéroports africains gèrent l’expérience des passagers et les placer sur un pied d’égalité avec certains des meilleurs aéroports du monde.
Les impressions comptent
Une expression célèbre dans l’industrie aéronautique est que les aéroports sont la première et la dernière impression d’un pays.
Plus que des plaques tournantes du transport, les aéroports sont des symboles de richesse, de développement et d’opportunités. Par conséquent, il incombe aux pays, en particulier aux marchés émergents d’Afrique, de s’assurer que leurs aéroports reflètent l’image qu’ils veulent projeter d’eux.
La sécurité des vols et le respect des normes internationales sont un bon point de départ, mais ils ne jouent aucun rôle dans les charmes et les promesses d’un pays.
La prochaine étape pour les aéroports africains consiste à s’assurer que leurs passagers se souviennent avec émotion de leurs voyages dans le ciel africain.
Et cela commence par des travaux d’infrastructure au sol, toujours en gardant les besoins du passager en tête.